GUÉRIR LA BLESSURE
D'ABANDON (suite)
Par DANIEL DUFOUR
Extraits de son livre La
blessure d'abandon
Les Éditions de
l'Homme, 2007
Reconnaître
les émotions liées à l'abandon
Du fait de
notre mental, le mot"abandon", ou ses synonymes, peut rester un
simple mot et n'être relié à aucune émotion. Je suis toujours étonné de notre
capacité à prononcer des mots sans ressentir du tout l'émotion qui se trouve
derrière. L'abandonnique ne fait pas exception à cette règle. Après avoir
accepté intellectuellement qu'il a été quitté ou abandonné par l'autre, il a
l'impression (ou il fait semblant!) d'en avoir terminé avec son traitement. Il
n'en est évidemment rien, car une reconnaissance intellectuelle n'est en aucun
cas synonyme de mieux-être... Il va donc falloir que la personne souffrante se
pose la question de ce qu'elle ressent comme émotion.
Que peut-on
ressentir lorsque l'on est abandonné ou que l'on se sent abandonné? Le mot
"ressentir" est très souvent interprété par la personne comme une
invitation à dire ce qu'elle pense du fait qu'elle a été abandonnée.
Elle va par conséquent partir dans une grande diatribe sur ce qu'elle pense ou
ne pense pas par rapport à cet acte. Si elle réalise que la question posée ne
concerne pas ce qu'elle pense, mais bien ce qu'elle ressent un silence
règne souvent, car pas plus que la plupart d'entre nous elle n'est habituée à
se pencher sur ses émotions, trop occupée à réfléchir avec son brillant mental.
Après ce
moment de silence, un autre type de réponse est parfois fait: "Je me sens
abattu, fatigué" ou "Je suis sans ressort, comme épuisé", ou
encore: "Je me sens démotivé." Il arrive aussi que la personne
décrive ce dont elle souffre sur le plan physique... La question s'impose alors
naturellement: "Que ressentez-vous?" Deux réponses sont possibles,
car il n'y a pas pléthore de familles d'émotions: la tristesse ou la colère. En
se penchant sur le sujet de façon intellectuelle (puisque nous en sommes
toujours à ce niveau!), l'abandonnique, par réflexe, se refuse le droit d'être
triste: "Je n'ai pas pour habitude de m'apitoyer sur moi-même",
dit-il; il ne s'autorise pas davantage à être en colère "Je ne suis pas
quelqu'un de colérique." S'il accepte d'avancer dans sa réflexion, la
tristesse va souvent lui apparaître comme plus acceptable - car mieux acceptée!
- que la colère. Il va cependant minimiser sa tristesse; il dira, par exemple,
qu'il est triste "mais pas énormément" ou que sa tristesse n'est pas
assez importante pour qu'il pleure. Toutes les excuses lui sont bonnes pour ne
pas accepter réellement et franchement que l'acte d'abandon qu'il a subi génère
inévitablement de la tristesse.
Inutile de
dire que, vis-à-vis de la colère, le mental va se déchaîner. En fait, il va
tout faire pour nier cette émotion qui est pourtant au cœur de tout abandon.
Tout d'abord, le mot "colère" est souvent repoussé avec force; il est
en effet "trop fort" pour beaucoup de personnes. La tolère a une
connotation négative, et elle est trop souvent associée à la violence verbale
ou physique dont sont victimes nombre d'enfants et d'adultes. En réalité, la
colère est confondue avec la rage. Il est pourtant essentiel de faire la
différence entre l'émotion de colère et la rage qui est, elle, une construction
de notre mentaL La famille des colères est absolument nécessaire à la vie de
l'individu, au même titre que la famille des joies et celle des tristesses.
L'enfant qui vient de naître n'éprouve ni peurs ni remords, il n'exprime aucune
rage, pas plus qu'il ne fait de dépression nerveuse, tout simplement parce que
son mental n'existe pas.