BIENVENUE

L'ÉCHO DES MURAILLES, L'ÉCHO DES ENTRAILLES. Une installation murale en pratique relationnelle de Nadia Nadege, artiste qui a permis la création de ce blogue pour un échange entre femmes vers leur meilleure conscience identitaire...
LE CORPS-MESSAGER Les Marcheurs de Vie est une autre installation en pratique relationnelle de la même artiste, qui fait suite aux poupées de tissu par des figurines de plâtre.

Justice réparatrice : la parole aux victimes

C'est bien connu, les souffrances ne se comparent pas plus que les victimes ne se ressemblent. Il y a les victimes et les groupes de victimes armés de leur volonté à obtenir reconnaissance et juste réparation et il y a le silence de toutes les victimes qui n'invoquent ni leur statut de victime ni ne réclament quelques compensations financières. Y a-t-il oubli de ces victimes « ordinaires » ?

Jo-Anne Wemmers
Jo-Anne Wemmers
  La victimologie s'est emparée du sujet de recherche. La considération de la victime se retrouve au cœur des controverses sur la justice réparatrice. Rappelons que si la justice punitive sanctionne la culpabilité de l'auteur d'une infraction, la justice réparatrice souhaite plutôt la reconnaissance de sa responsabilité.
  Reste à faire la preuve que cette justice réparatrice, tournée vers les besoins de réhabilitation de l'auteur de l'infraction, est aussi à l'avantage des victimes.
  L'application de la justice réparatrice au Québec a ses limites : il faut que le mal soit « réparable » et le contrevenant « récupérable ». Pourquoi ne pas permettre aux contrevenants récidivistes de bénéficier des ressources de la justice réparatrice lorsque la justice punitive a échoué son œuvre de resocialisation ?
  Aux partisans de la justice réparatrice, les détracteurs répondent : pourquoi faire prendre aux victimes le risque d'une « victimisation secondaire » dans un face à face avec leur agresseur ? Qu'en pensent les victimes ?
  Jo-Anne Wemmers, chercheure et professeure à l'école de criminologie de l'Université de Montréal, et Katie Cyr, étudiante en maîtrise, ont réalisé une enquête auprès de l'organisme communautaire Trajet Jeunesse, interrogeant une cinquantaine de victimes qui ont participé à un projet de médiation.

La place de la victime

Rappelons que depuis une dizaine d'années, les législations québécoise et canadienne se sont enrichies de plusieurs mesures pour améliorer le sort des victimes. Dans les années 1970 la Commission de réforme du droit du Canada a cherché à faciliter les dédommagements de la victime.
 
En 1971, le Québec adopte la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. À la suite de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir, adoptée par les Nations unies en 1985, le Québec se dotera de la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels (1988). Cette loi reconnaît aux victimes le droit d'être informées, indemnisées, protégées et de bénéficier des services d'aide et d'assistance. Mais est-ce suffisant ?
 
Devant la popularité de la justice réparatrice et à la lumière d'une revue de littérature sur ce sujet, la chercheure Jo-Anne Wemmers estime qu'« il ne faut pas se demander s'il faut offrir la justice réparatrice aux victimes mais plutôt, comment il faut l'offrir »1.
 
Ainsi, pour la chercheure, cette loi se tait sur la responsabilité de la police et du procureur d'informer les victimes. « Personne n'est responsable et tout le monde peut dire, ce n'est pas ma tâche. Il y a un manque de connaissance et de mise en œuvre de cette loi. C'est triste. On peut créer de grandes choses pour les contrevenants mais quand on parle des victimes, cela ne doit pas coûter un sous ».

Traitement des victimes

Travaillant comme bénévole au Centre d'aide aux victimes d'actes criminels de Montréal (CAVAC), Katie Cyr est bien placée pour entendre que « les victimes sont insatisfaites de leur traitement au sein du système judiciaire ». Et pour éviter que « nous ne répétions les mêmes erreurs au sein de la médiation », l'enquête procède d'un examen des principaux besoins exprimés par les victimes impliquées dans une médiation.
 
Cinquante et une victimes, autant d'hommes que de femmes à majorité adulte, ont participé à leur recherche sur « les expériences des victimes d'actes criminels en médiation » initiée en 2002 et financée par le ministère de la Justice du Canada.
 
Pour la moitié des victimes qui connaissaient le contrevenant avant le délit, la médiation a conduit dans presque un tiers des cas à des excuses verbales suivies par d'engagements moraux. Interrogées sur leur motivation à participer à une médiation, 21 % des victimes l'acceptent pour « aider le délinquant à se réhabiliter », 12 % pour « régler le conflit », 8 % parce qu'elles se sont laissées convaincre d'y participer.
 
Ce sont d'ailleurs les principaux motifs de satisfaction des victimes : remettre le contrevenant « dans le droit chemin » et obtenir leur pardon. En revanche, il n'y a pas de raisons dominantes qui expliqueraient que des victimes refusent la médiation.
 
Le manque d'intérêt, de temps, d'information ou de motivation aurait raison de leur refus. Invitées à s'exprimer sur leur besoin, les victimes « veulent savoir avant comment cela se passe et ce qu'elles peuvent demander au contrevenant. Les victimes veulent aussi s'exprimer, expliquer les conséquences du délit et désirent être entendues. Elles veulent aussi un suivi après la démarche, que quelqu'un les rappelle pour savoir si le contrevenant a respecté l'entente », commente Katie Cyr.

Conditions de réussite d'une médiation

La vulnérabilité des victimes impose la prudence. « Est-ce qu'il y a des effets pervers pour les victimes ? Est-ce qu'il y a une augmentation de la peur chez les victimes ? Souvent les victimes ont besoin de réparation, d'information mais ils ont d'autres besoins comme le besoin de protection. L'idée de confronter la victime avec son agresseur est intimidante pour les victimes, cela peut avoir des effets négatifs. Comment éviter une seconde victimisation de la victime ? » interroge Jo-Anne Wemmers.
 
La recherche démontre que « la médiation peut accentuer la peur de certaines victimes au début mais, pour la grande majorité, la médiation aide à faire diminuer ce sentiment de peur », constate Katie Cyr.
En revanche, un des effets pervers est que « certaines victimes s'empêchent de faire certaines demandes au contrevenant, soit parce qu'elles ne savent pas ce qu'elles peuvent demander ou parce qu'elles n'osent pas demander trop aux jeunes contrevenants ». Ce manque d'informations expliquerait en partie le refus des médiation : « elles ne pensaient pas qu'il s'agissait d'une démarche sérieuse et officielle ! »

Activismes pro-victimes

Originaire des Pays-Bas, quel est le regard de Jo-Anne Wemmers sur les groupes de défense des victimes ? La chercheure se dit frappée par l'importance de « l'activisme pro-victimes en Amérique du Nord en général mais surtout au Canada ». Une mentalité de défense des droits qu'elle juge « radicale ».
 
« En Amérique du Nord, il y a beaucoup plus la question de conflits d'intérêts entre les victimes et les contrevenants. Aux Pays-Bas, on ne parle même pas des droits des victimes mais des obligations des fonctionnaires, de la police auprès des victimes. Donc, on évite toutes les questions des droits des victimes contre ceux des contrevenants. La question est d'offrir un service aux victimes plutôt que de créer toute une mentalité de droits. »
 
Au regard des expériences de la justice réparatrice aux Pays-Bas et en France, Jo-Anne Wemmers plaide pour une plus grande implication des centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) dans le processus judiciaire. « Il y va de l'intérêt même des victimes ! »
Jo-Anne Wemmers, « Une justice réparatrice pour les victimes » dans Revue internationale et criminologie et de police technique et scientifique, No2, 2002.